Lettre du 18 janvier 1915, depuis Saint-Laurent-sur-Gorre.

André Bourgain n'a pas réussi les épreuves d'admission EOR. Il se console en espérant passer vite sous-officier et aller au feu. Le fait qu'il s'ntéresse à sa famille est important. Il n'a pas été touché à ces lignes.

Quelques mots avant de me coucher. Car quoiqu’il ne soit pas encore 6 heures, je vais aller dormir. Hier j’ai été vacciné contre la typhoïde et depuis j’ai la fièvre. Elle s’est un peu calmée, par la prise d’un comprimé d’aspirine. Néanmoins je ne suis pas encore bien, et une longue et bonne nuit ne peut que me faire du bien.

Ce matin j’ai appris le résultat de mon examen. Je n’ai pas réussi. Sur les quatre qui ont passé l’examen, un seul est reçu. Je n’en suis pas plus malheureux pour cela. Et d’un certain côté j’en suis content puisque je conserve mon lit et ma petite vie tranquille. Naturellement j’aurai sacrifié très volontiers mes aises pour gagner les galons d’officier. Mais puisque j’ai échoué, c’est tout. Je me bornerai à devenir caporal, sergent et à partir le plus vite possible au feu où j’essaierai de gagner gloire et galons.

Hier, j’ai écrit à Louis, à Jean de Berny, à oncle Joseph et tante Jeanne. J’espère que ces lettres parviendront. Au mois de décembre j’ai écrit à M. et Mme Achille Christiaens, j’ignore si ma carte est arrivée car je ne savais pas l’adresse exacte, tout au commencement de mon installation ici.

J’ai écrit deux lettres à mon oncle doyen. Je lui donnais mon adresse et n’ai cependant pas reçu de réponse.

A-t-on bonnes nouvelles des combattants ? Que deviennent Paul et Benoît ? Ont-ils écrit depuis leur départ sur le front ?

Comment vont les affaires ? Que font les bateaux ? Boulogne est-il toujours une fourmilière d’Anglais ? Que deviennent les petits ? Je serai très heureux qu’ils me donnent eux-mêmes de leurs nouvelles. Tout le monde se porte-t-il à merveille ?

J’arrête pour aller me coucher, car je ne suis pas très bien. Je vous embrasse tous bien fort.

Je suis toujours en bonne santé, toujours heureux et ne m’ennuie pas beaucoup. D’ailleurs je n’en ai pas le temps. C’est la privation de la vue de la mer dont je souffre le plus. Toujours voir de la terre c’est fatigant et ennuyeux. Aussi le dimanche bien souvent je regrette la belle mer de Boulogne qui vient s’ébattre sur la plage et rouler avec fracas. Enfin un jour viendra où on la reverra. Mais je crois qu’il faut encore bien patienter, car les hostilités n’ont pas l’air de tirer à leur fin. Qu’en disent nos journaux régionaux ? Je serai très heureux de le savoir, car ici on ne sait rien.