Jean-Michel Renaitour. - Un mot d'enfant
C’était dans un hameau des abords de Châlons.
La guerre éternisait sur nous ses jours trop longs.
Le soir tombait, à l’heure où la nature embaume.
Nous étions cantonnés près d’un aérodrome :
Nos avions pensifs aux hangars reposaient.
La grand’route était proche où des ombres passaient.
Soudain, comme j’allais rentrer, l’heure étant fraîche,
Un jeune vagabond, musette au dos, voix sèche,
Mais correct et prenant sa casquette à la main,
S’est approché de moi pour savoir son chemin.
Je lui dis – il allait à Suippes – d’aller vite
S’il voulait arriver avant la nuit. Ensuite
Le banal dialogue entre nous s’établit
Qui joint deux étrangers dont chacun est poli :
« – Que fais-tu, petit homme, ici ? L’heure est indue !
– Je cherche mes parents. – Ta famille est perdue ?
– Ils ont été rapatriés ces jours derniers.
Il étaient jusqu’alors demeurés prisonniers
En Belgique, et moi seul j’avais pu fuir en France ;
Et puis voilà que c’est fini de la souffrance !
Je sais qu’ils sont ici, libérés, revenus.
Mais je ne sais pas où. Leurs noms sont inconnus.
Je les demande à tous les bourgs du voisinage.
Et je les cherche ainsi, de village en village.
– Diable ! lui fis-je alors d’un ton peu rassurant,
Tu peux chercher longtemps, tu sais : le monde est grand !
Hochant la tête, il réfléchit une seconde ;
Puis dit : « – Bah ! ce n’est pas si grand que ça, le monde... »
Et sur ce mot d’espoir il partit dans la nuit.
Et moi je suis resté songeur, songeant à lui.
Songeant à la leçon poignante et si profonde
De ce petit garçon trouvant petit le monde !
J. M. Renaitour, pilote-aviateur, 26 octobre 1918.