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Les découvertes du chamois
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13 mars 2005

Lettre du 1er janvier 1915, depuis Saint-Laurent-sur-Gorre.

Cette première lettre est retranscrite intégralement. L'en-tête, les formules affectueuses et la signature ne le seront pas systématiquement dans les prochaines communications. Armand Bourgain aura bientôt 19 ans et demi. Il se veut rassurant et en rajoute sur la « bonne vie » qu'il mène.

Mes bien chers Parents

Pour le moment je ne suis pas bien malheureux. Comme c'est le 1er jour de l'an 1915, je me suis payé un dîner ici au restaurant voisin et j'ai très bien mangé. Voici mon menu : 1 potage au pain et aux choux, du gigot ( une portion assez grande pour deux et que j'ai mangé toute entière ) avec des haricots à volonté, de la bière, du pain à volonté, une bouteille de vieux vin, des biscuits... Le tout était excellent, et il y avait longtemps que je ne m'étais autant régalé. Ce repas excellent ne m'a coûté que 2 f. Vraiment ce n'est pas trop cher et je suis très content d'avoir mangé en ville. De plus je me suis payé un bon demi Londrès pour fumer avec le vieux vin. Vous voyez que je ne suis pas malheureux.

Avant-hier je suis allé à Oradour pour me présenter au capitaine commandant le dépôt, comme aspirant EOR. Le capitaine fut très gentil et parut très bien disposé à mon égard, grâce à la recommandation de Madame Millescamps*, à laquelle il fit une légère allusion. Je suis allé à Oradour à pied avec deux camarades, comme moi aspirants EOR. Nous en sommes revenus de même à pied. Auparavant nous avons mangé à l'hôtel, car nous étions sûrs d'arriver après la soupe. Hier je suis encore retourné à Oradour avec les deux copains, pour signer notre demande. Nous sommes partis le matin et revenus le soir après avoir mangé de nouveau à l'hôtel. Ce qui nous fait 40 kilomètres en deux jours. Ce n'est pas beaucoup mais enfin aujourd'hui nous sommes contents de rester à Saint-Laurent. D'autant plus que la région est accidentée dans le genre du Boulonnais et qu'hier il a plu averse toute la journée sans cesser.

Demain je dois être vacciné contre la typhoïde. Cela ne me dit pas grand-chose mais pas moyen d'y couper.

Hier en revenant d'Oradour je suis allé au bureau de ma compagnie pour faire constater mon retour. Alors le chef en profita pour payer mes effets. L'autre jour, en effet, j'ai fait contrôler les effets que j'avais apporté : 2 chemises, une ceinture flanelle ( on en paye pas plus d'une ), une paire de chaussettes ( on en paye pas plus d'une ), une paire de gants ( de même ), deux caleçons. Pour tout cela j'ai touché 21,05 f. J'avais même fait voir mon jersey et on me l'avait également estimé bon. Mais après j'ai réfléchi qu'on allait me le payer trois fois rien et qu'il ne m'appartiendrait plus. Aussi quand on voulut me donner les 5 francs à son sujet, j'ai refusé. Quand je rendrais les autres effets, ils seront usés, mais mon jersey sera encore neuf. Dans quelques jours, je toucherai pour mes chaussures. Je recevrai 17 francs, le prix le plus haut qu'on donne pour les chaussures au régiment. Demain je vais en toucher une deuxième paire.

Que dois-je faire des 21,15 francs reçus et des 17 francs à recevoir ?

Nous allons changer de lieu de séjour. Depuis quelque temps courait le bruit que notre dépôt devait rapprocher de Paris. Hier, j'en ai reçu avec mes camarades la confirmation pour ainsi dire officielle. Nous avons lu le papier, qui fut imprimé devant nous au bureau à Oradour et qui sera lu au rapport cette semaine, papier qui disait que notre dépôt, par ordre du ministère de la guerre, était transporté à Châteauroux dans l'Indre. Ce n'est pas si près de Paris comme je l'avais espéré. Nous devons être là pour le 10 janvier. Ecrivez-moi toujours ici, jusqu'à avertissement de ma part. J'ai écrit à tous pour la nouvelle année. Si dans quelques jours, tous n'avaient pas reçu ma carte ou ma lettre, avertissez-moi.

Votre fils affectueux qui vous embrasse ainsi que frères et sœurs.

Armand Bourgain fils.

Adresses d'Eugène, de M. Millescamp, Marc, Charles, Fourny, Tétart.

* Madame Millescamps est l'épouse du capitaine dont il sera plusieurs fois question dans la correspondance. Il appartenant au 327e régiment d'infanterie. Il sera tué à Colincamps dans la Somme le 18 juin 1915.

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