Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les découvertes du chamois
Les découvertes du chamois
Publicité
Archives
21 août 2005

En lâchant l'barda

A mon vieux camarade le Capitaine Christian Frogé.

La v’là donc finie, c’te salop’rie d’ guerre
qu’on pensait, d’abord, qu’a n’ dur’rait qu’ quéqu’ jours...
– quéqu’ jours ou quéqu’ moés, on n’ s’y trompait guère...
Après, on a cru qu’a dur’rait toujours !
Enfin, c’est passé, les jours de misère,
et nous v’là rentrés... on n’est pus soldats !
« Démobilisé »... n’en v’là, d’eune affaire !
Dempis si longtemps qu’ j’étions militaire,
j’ vas-t-î s’ment, vanquié, savoér coument faire
pour lâcher l’ barda ?

J’ vas terjous au clou pendr"mes deux musettes :
D’pis l’ temps qu’a s’ trimball’, a n’ont mérité
d’ se r’pouser ein p’tit aussi ben qu’ leû’ maît’...
Qui dira jamais tout c’ qu’a n’ont porté :
des guernad’, du pain, des paires d’ chaussettes,
des paquets d’ pans’ment, des paquets d’ tabac,
des boétes d’ consarv’, du papier à lett’...
A m’ servaint, vantié, d’ormoér’ coum’ de maîte :
On m’nait sûs son dos sa maison complète
en portant l’ barda !

Et pis, voilà côr au bout d’ sa bricole
c’ sapré vieux bidon, et son frère l’ quart :
Is n’ont guér’ souvent quitté mon épaule...
C’ qu’îs n’ n’ont vu passer, des litres-d’ pinard !
J’ y ons,bu du café, du cidre, et d’ la gniôle...
j’y ons meim’ bu, des foés qu’on était ben bas,
d’ l’iau javelisée... ou l’iau des rigoles...
J’ me l’ rappell’ terjous, et qu’ c’étaint point drôle :
Parsoun’ n’avait l’ cœur à la gaudriole
en portant l’ barda !...

V’là mon vieux calot, qui m’ sarvit d’ casquette,
de bounet d’ coton, et meim’ d’oreiller,
mon calot d’ drap bleu, ben fait à ma tête,
sous qui qu’ j’ai pensé, ou ben roupillé...
Je m’ souvîns encôr coum’ d’ein jour de fête
d’ la foés qu’ nout’ tailleur me l’accommoda :
C’était au moés d’ mars mil-neuf-cent-dix-sept’,
qu’on créyait déjà les Boçh’ en défaite,
et qu’ ça s’rait pour nous eun’ chous’ bentoût faite
que d’ lâcher l’ barda...

V’là mon casque aussi, tout plein d’ cabossures :
Avant de l’ crocher, j’ vas n,’y coller d’ssus
c’ t’espèce d’ visièr’ qu’est tout en dorure...
mais, pour ein « souv’nir », j’avais point, ben sûr,
besoin d’y ajouter c’te bell’ mirolure :
Y a sûs l’ coûté gauch’ la marqu’ d’ein éclat :
qu’ j’aurais r’çu, sans lui, en plein dans la hure...
c’ jour-là, j’ai manqué, p’t-êt’, la « fin’ blessure »,
mais p’t-êt’, ben aussit eun’ magniér’ trop sûre
de quitter l’ barda !

Et pis me v’là, moé, que j’ sés là qui cause...
j’ vas-t-y, moé aussit, m’accrocher au mur ?
Quant’ on a trimé, faut ben qu’on se r’pose...
oui, mais faut aussit, et ça s’ra p’t-êt’ dur,
r’coummencer sa vie... I faut qu’on s’ dispose
à r’trouver souvent, en c’ nouveau combat,
ben des tas d’épin’ pour point guère d’ roses !
Y a qu’ quant’ on est môrt qu’on peut fair’ la pause,
et, tant qu’on vivra, faudra, la meim’ chose,
ployer sous l’ barda !

Marc Leclerc, 10 Mai 1919.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité