Débats à propos de l'amnistie lors du congrès de l'Union fédérale des associations françaises de blessés, mutilés, réformés
Congrès de Nancy de l’Union fédérale des
associations françaises de blessés, mutilés, réformés, anciens-combattants de
la Grande-Guerre et de leurs veuves, orphelins et ascendants, tenu les 15, 16
et 17 mai 1921
Chapitre
« AMNISTIE » pages 74 à 84.
AMNISTIE
Rapporteur :
FONTENAILLE
FONTENAILLE donne
lecture de son rapport
A DINAN, qui réclame
pour tous les anciens combattants une amnistie pleine et entière, les autres
associations opposent l’exclusion du principe même de l’amnistie des soldats
condamnés pour désertion, trahison ou crime
de droit commun.
S’appuyant donc sur
les cas où les conseils de guerre ont condamne rapidement des combattants
inculpés de peccadilles dénommées « incidents de combat », les
associations repoussent le projet d’amnistie voté par la Chambre des députés
qui, dit l’Union des Mutilés de Lyon, « ne distribue la clémence qu’au
compte-gouttes, tandis que les profiteurs de la guerre ou de l’après-guerre
vivent dans la tranquillité la plus parfaite ». Elles réclament alors une
loi d’oubli plus large, plus humaine et plus généreuse en faveur des soldats
condamnés du 2 août 1914 au 11
novembre 1918, et des sanctions énergiques contre les membres des conseils de
guerre coupables d’avoir condamné des innocents. La Fédération tarnaise, à ce
vœu général, ajoute une motion spéciale tendant à la révision du procès des
mutins de la Mer Noire et la mise en liberté des accusés (l’officier-mécanicien
Marty compris) : la Fédération bretonne voudrait la révision de toutes les
condamnations qui ont entraîné la mort des condamnés.
COLIN,
de Nice. — Messieurs, j’estime que l’amnistie, si elle fut trop large pour les criminels de droit commun, n’a pas été
assez large pour les crimes spéciaux prévus par le Code de justice militaire,
en raison des erreurs judiciaires trop nombreuses provoquées par l’application
de ce code vieillot, suranné, désuet, qui n’était pas conforme aux conditions
de la guerre moderne.
Avant
d’entrer dans ces explications, je tiens tout d’abord à vous dire que je ne
fais nullement profession d’antimilitarisme, ni ne voudrais vous inciter à l’antimilitarisme.
Je suis Vosgien ;
à quarante ans, je me suis présenté le premier comme volontaire territorial
pour renforcer les régiments actifs. Après la guerre en rase campagne, en
Lorraine j’ai fait deux ans de tranchées ; j’ai ensuite rempli pendant deux ans les fonctions
de commissaire rapporteur aux armées et j’ai
pu constater, soit comme officier d’infanterie, soit comme commissaire
rapporteur, les vices du Code de justice militaire, qui ont été la cause d’erreurs
très regrettables.
Je dis donc que le
Code de justice militaire n’était plus conforme aux conditions de la guerre
moderne, soit au point de vue des
articles visant les crimes et les délits soit au point de vue des articles
visant l’organisation de la justice militaire.
Au point de vue des
articles visant les crimes et les délits je veux vous faire apparaître immédiatement
la non-conformité de ces dispositions aux conditions de la guerre moderne, en
prenant pour exemple le refus d’obéissance et l’abandon de poste en présence de
l’ennemi.
Que
signifient ces termes « en présence de l’ennemi »? C’était clair, net
et précis dans la guerre en rase campagne.
Les termes « en
présence de l’ennemi », dans la dernière guerre de tranchées, manquèrent
de précision et prêtèrent à des interprétations différentes, contradictoires et
trop souvent regrettables.
Quelques vieux
officiers disaient : « En présence de l’ennemi signifie lorsque la troupe
est en formation de combat » ; d’autres soutenaient : « Un
soldat se trouve en présence de l’ennemi lorsqu’il est en tranchée de première
ligne, en soutien de première ligne » ; d’autres allaient plus loin
et prétendaient que le soldat était en présence de l’ennemi lorsqu’il se
trouvait en tranchée de deuxième ligne, de troisième, même en réserve en cas d’attaque.
Bref, personne n’était
d’accord et on est arrivé à ce résultat monstrueux : c’est que par exemple
un militaire qui abandonnait son poste dans une tranchée de première ligne, d’un
calme parfait, alors que l’ennemi ne manifestait aucune activité, pour aller
serrer la main de son frère dont il avait appris l’arrivée récente dans la
tranchée voisine, était condamné comme coupable d’abandon de poste en présence
de l’ennemi (mort), tandis qu’un artilleur d’une batterie en position à quinze
kilomètres de là, à quinze kilomètres du front, qui fuyait son poste parce que
sa batterie était soumise à un bombardement violent, n’était reconnu coupable
que d’abandon de poste sur un territoire en état de guerre.
Autre
exemple : un militaire qui refusait de porter la soupe à ses camarades de
tranchée, parce que ce n’était pas son tour, alors que la vie de tranchée était
devenue vie de caserne en raison de l’inactivité prolongée de l’ennemi dans ce
secteur, était condamné comme coupable de refus d’obéissance en présence de l’ennemi
(mort), tandis qu’un soldat faisant partie d’un centre d’aviation et refusant d’obéir
au moment de l’attaque d’une escadrille ennemie n’était considéré que comme
coupable de refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre.
Ne trouvez-vous pas
que c’est inique et que les articles qui contiennent les termes « en
présence de l’ennemi » sont à réviser parce qu’imprécis ?
En attendant cette révision,
puisque la loi d’amnistie n’a pas
compris les crimes de refus d’obéissance et d’abandon de poste en
présence de l’ennemi, nous devons demander au Gouvernement d’étendre l’application
de l’article 20 bis de la loi d’amnistie
a tous les conseils de guerre, pour permettre la révision des condamnations
prononcées pour ces crimes, révision à laquelle il sera procède par une
commission de magistrats civils composée le plus possible d’anciens
combattants, chargée d’étudier les dossiers et de soumettre au garde des sceaux
ceux qui paraîtraient devoir faire l’objet de la procédure de l’article 20bis
de la loi d’amnistie, étendue à tous les conseils de » guerre et non plus
seulement réservée aux cours martiales.
C’est d’autant plus
nécessaire qu’il est arrive que des condamnations pour mutilations volontaires
(abandon de poste devant l’ennemi) ont été prononcées par erreur.
Comme commissaire
rapporteur, j’ai été témoin des faits suivants :
Certains
soldats de ma division avaient été blessés a Verdun a courte distance ;
dès qu’ils étaient arrivés dans les hôpitaux d’arrière, les médecins militaires
s’écriaient : « Blessure à courte distance, mutilation volontaire. »
J’ai instruit ainsi à
l’égard de nombreux soldats qui avaient été transférés des hôpitaux d’arrière
comme prévenus de mutilation volontaire parce que blessés à courte distance ;
heureusement, au cours de mes informations, j’ai pu découvrir des témoins qui m’ont
affirmé que ces soldats avaient été blessés soit par leur imprudence, soit par
l’imprudence de leurs camarades, soit par les Boches.
Je crois vous avoir
suffisamment démontré par ces exemples que le Code de justice militaire ne s’adapte
plus aux conditions de la guerre moderne, au point de vue des articles visant
les crimes et les délits.
J’en arrive,
Messieurs, aux articles qui organisent la justice militaire.
Pendant cette guerre,
les généraux avaient des pouvoirs de droit et des pouvoirs de fait encore plus
grands.
Le
pouvoir de droit consistait en l’ordre d’informer donné par les généraux. Mais
trop souvent on appliquait l’article 156, qui permettait de donner un ordre de
mise en jugement sans instruction préalable. La citation était faite
immédiatement. Le conseil se réunissait après le délai de vingt-quatre-heures.
C’était
une procédure trop sommaire qui donnait des résultats pratiques déplorables, l’accusé n’ayant pas le temps de préparer sa défense,
son défenseur n’ayant pas le temps de consulter le dossier et de faire procéder
a toutes mesures d’informations utiles.
Cette procédure
dangereuse s’aggravait en raison des pouvoirs de fait des généraux qui
pouvaient choisir et désigner eux-mêmes les juges qui devaient composer le
conseil.
Etaient trop souvent
écartés les officiers à titre temporaire.
Le
général convoquait ensuite le président du conseil et lui faisait part,
malheureusement souvent, de ses conceptions et de ses désirs, pour ne pas
employer une autre expression.
Donc le conseil de
guerre était trop sous la dépendance du commandement. Et M. MATTER, chef de la
justice militaire, qui fit de fréquentes inspections, a pu s’en rendre compte.
Il en était de même
des commissaires rapporteurs.
La plupart étaient
des officiers de carrière. Qui dit officiers
de carrière veut dire par cela même des hommes de devoir et de droiture mais
forcés de ménager leur carrière et par suite subissant trop facilement l’influence
de leurs chefs ; d’hommes ignorant d’ailleurs le droit ou ne le comprenant
pas, parce qu’ils ne distinguent pas bien ce qui différencie les sanctions disciplinaires et les sanctions
judiciaires. J’ai entendu un certain commissaire discuter la préméditation au
sujet d’un homicide par imprudence.
Il convient donc de
demander au Gouvernement de modifier l’organisation des tribunaux militaires et
de créer un corps autonome d’officiers de justice militaire.
CHARREY. — Après les
explications que vient de nous donner le camarade COLIN, je viens vous parler d’une
affaire que vous connaissez bien. C’est l’affaire d’hommes qui, innocents, ont
été condamnés à mort. Vous savez que Vichy a eu l’insigne honneur de faire
casser par la Cour de cassation le jugement concernant l’affaire de Vingré. Il
faut que nous obtenions la révision des procès qui ont condamné de nombreux innocents…
Bien qu’ils soient
morts, il reste un point excessivement pénible (ils auraient pu être tués dans
les combats) : c’est que les veuves, les orphelins et les vieux parents qu’ils
ont laissés ont sur leur conscience un déshonneur qui est inadmissible. Je vous
demanderai, par conséquent, afin d’être très bref, et aussi étant donné les
difficultés que nous avons rencontrées, de sentir que l’Union fédérale tout
entière est derrière nous pour obtenir du Gouvernement non seulement que la révision
de tous les procès soit faite, mais aussi que tous ceux qui ont participé à la
condamnation des innocents soient chassés de l’armée. Je vous demanderai tout
simplement d’accepter le vœu que nous avons adressé au Ministère de la Guerre,
de façon que l’Union fédérale soit derrière nous pour nous appuyer de toutes
ses forces. Voici le vœu que nous avons émis :
« Le Congrès
déclare solennellement prendre d’abord en considération le vœu des camarades de
Vichy, libellé ainsi qu’il suit :
« Vu l’arrêt de
la Cour de cassation, aux termes duquel les six martyrs de Vingré ont été
reconnus innocents ;
« Vu le jugement
de réhabilitation démontrant d’une façon formelle que ces Français, condamnés à
faux par un conseil de guerre, n’ont été mis à mort que par manière de
représailles ;
« Considérant
que cet arrêt tardif, bien que conforme à une saine justice, ne » saurait
réparer entièrement les souffrances morales et le préjudice causé à l’honneur
de ces hommes héroïques, ni effacer les angoisses et les larmes versées par
leurs veuves, leurs petits orphelins et leurs vieux parents ;
« Considérant
que la vie d’un citoyen, serait-il soldat, ne doit pas être à la merci des
supérieurs à qui leur irresponsabilité confère tous les droits ;
« Considérant
que seules des sanctions appliquées avec la dernière sévérité montreront l’abus
à ceux qui portent sur leur conscience la mort des six braves du 298e
régiment d’infanterie ;
« Le Congrès
adresse aux pouvoirs publics les vœux suivants :
« 1° Que le
chef de bataillon G... et le lieutenant P..., dont la culpabilité est
démontrée, soient de suite destitués de leur grade, radiés de l’armée et de l’ordre
de la Légion d’honneur, sans préjudice des actions pénales à exercer contre
eux ;
« 2° La
mise en disponibilité immédiate des membres du conseil de guerre ayant prononcé
la condamnation à mort par ordre et leur mise en jugement ;
« 3° Qu’à l’avenir,
pour prévenir le renouvellement d’injustices aussi irritantes, il soit inscrit
en gros caractères sur tous les règlements des Ministères de la Guerre et de la
Marine la préface suivante :
« Officiers de tous grades, qui avez à charge
l’éducation militaire des hommes placés sous vos ordres, rappelez-vous
toujours, si vous avez à prendre une sanction contre eux, qu’il faut vingt ans
à un père et à une mère pour faire un soldat »
« En outre, le
Congrès,
« Considérant
que le Code de justice militaire utilisé pendant la guerre de 1914 à 1918 a pu
être interprété par les conseils de guerre de façon tout à fait différente, ses
articles n’étant pas adaptés aux conditions de la guerre moderne,
« Demande :
« 1° La
révision de toutes les condamnations non amnistiées prononcées pendant la
guerre par des conseils de guerre, au sein d’une commission siégeant au
Ministère de la Justice et composée de juges civils anciens combattants ;
« 2° La
refonte complète du Code de justice militaire ;
« 3° Des
sanctions pénales et disciplinaires contre les auteurs responsables des
condamnations injustifiées ;
« 4° L’amnistie
très large pour les anciens combattants non coupables de crimes de droit
commun, à l’exception des insoumis, des déserteurs à l’étranger et des
traîtres ;
« Décide :
« Qu’au cas où
le Gouvernement ne prendrait pas l’initiative de la révision de la législation
en vigueur, les associations de l’Union fédérale s’abstiendraient de prendre part
aux fêtes officielles à caractère militaire. »
DEROCHE,
de Montluçon. —Je demande » que ces discours soient sténographiés et
envoyés à tous nos députés.
VINÇON. — Chers amis,
nous venons d’entendre des exposés que certains camarades qui se prétendent
défenseurs de la cause des mutilés au Parlement auraient bien fait de méditer
auparavant. J’estime que ce que nous faisons la — émettre des vœux sur une loi
qui vient d’être votée — est inopérant. Comment ferez-vous pour faire réviser
tous ces cas ? Cela va entraîner l’Union fédérale, sachez-le, à faire
elle-même quelque chose ; et je suis sûr que vous êtes d’accord avec moi
pour demander que l’Union fédérale prenne a son compte la révision des cas qui
lui seront signalés dans les fédérations. De deux choses l’une : vous
allez demander la révision de la loi d’amnistie, vous allez avoir affaire aux
camarades qui sont au Parlement. Je voudrais bien demander l’explication d’une
seule au camarade About : l’article 113 de la loi d’amnistie. La question
de confiance a été posée à la Chambre ; le camarade VIDAL s’est empressé
de voter contre tous les discours que vous venez d’entendre aujourd’hui Vous
voyez que si l’Union fédérale ne prend pas à son compte la révision des procès
et ne se pose pas en partie civile pour les familles, c’est une chose
inopérante.
ROBERT. — Je demande
une précision ; je demande au Congrès d’ajouter au vœu du camarade de
Vichy la formule suivante : « Si satisfaction ne nous est pas donnée
de la révocation des officiers en question qu’on vient de nommer, le 14
juillet, à 9 heures du matin, toutes les sociétés affiliées à l’Union fédérale
organiseront une protestation d’ensemble ». Il faut quelque chose d’énergique,
ce sont les vœux du tombeau.
FONTENAILLE,
rapporteur. — Nous sommes tous d’accord avec le camarade de Vichy et avec le
camarade ROBERT. Quant à ce qui me concerne, puisque j’ai à m’occuper de la
question, je suis saisi, d’après mandat du Conseil d’administration, d’une demande de révision de condamnation au
sujet de la condamnation du soldat Marcel Eloi, du 106e R. I., qui a
été condamné pour s’être maquillé et qui ne s’était pas maquillé ; d’ailleurs
son capitaine, qui avait témoigné contre lui, malgré les témoignages de
camarades, s’est suicidé deux jours après. Ce sera la première démarche de l’Union
fédérale à propos de la loi d’amnistie, ce sera un précédent que nous allons
faire, aussi bien pour les fusillés de Vingré — l’affaire du 336e n’est
pas classée, elle est réclamée. La Cour va avoir à se prononcer. Nous faisons
nôtre le vœu de Vichy et ses conclusions, aussi bien que nous prenons l’engagement
de soutenir le principe de la révision de toutes les condamnations qu’on nous
signalera, mais il faudra nous présenter des dossiers complets.
CHARREY
— Est-ce que l’Union fédérale va prendre l’initiative de présenter des demandes
de révision du Code de justice militaire, afin que pour les condamnations
prononcées à tort, des dispositions soient prises contre les auteurs responsables,
parce que vous admettrez qu’à l’heure actuelle, ayant la classe 1919 sous les
armes, il y a de malheureux jeunes gens qui vont passer devant les conseils de guerre,
il faut que les juges aient conscience de leur responsabilité et ne condamnent
pas les innocents à tort.
PERNET.
— Est-ce que la proposition de notre camarade ROBERT sera à l’ordre du
jour ? Parce qu’en somme : protestations, manifestations, j’ai bien
peur qu’à cette occasion des organisations qui n’ont rien du tout de
combattants et de mutilés profitent de cette manifestation, dans laquelle nous
aurons, nous, mis un caractère qui nous concerne et pourraient, elles, l’accaparer
et la faire dégénérer en autre chose. Je demanderai plutôt l’abstention de nos
associations de toutes les organisations, manifestations et fêtes similaires,
défilés, etc. Comprenez-vous, c’est pour que, dans la rue, nous n’arrivions pas
à une émeute, et que ce que nous faisons dans un but de justice ne puisse se
transformer en une manifestation politique déplacée, de façon à ce que nous
gardions personnellement les responsabilités de notre disposition.
BAT. — Le camarade ABOUT
est occupé à la Commission des pensions et il m’a chargé de vous dire
ceci : « Vous ne pouvez rien faire en ce qui concerne la loi d’amnistie,
parce qu’elle est ratifiée par le Sénat ; vous pouvez simplement demander
au Gouvernement de l’appliquer dans un esprit très large. »
JOHANN. — Nous avons
adressé un vœu de semblable importance, un vote à tous nos députés, je puis le
dire, l’année dernière, lors du vote de la loi d’amnistie. Trois de nos députés
avaient voté pour. Cette fois, ils ont voté à cinq l’article 113 ; il y a
eu seulement 40 voix de différence, dans lesquelles MAGINOT et VIDAL ont voté
contre. Si toutes les associations avaient fait effort, comme la Nièvre, nous
aurions obtenu la majorité. Il faudrait donner dans toutes les associations la
conduite à suivre. J’ai su cela par Victor REGNIER. Il m’a dit que la loi d’amnistie
ne pouvait pas passer au moment où il avait été appelé par le ministre de la
Guerre. Le moment était très mal choisi pour appeler le vote sur l’amnistie.
VINÇON.. — Je demande
que la Commission se prononce sur le fait qu’un camarade refuse de venir s’expliquer.
Le PRÉSIDENT. — Je
demande qu’on passe immédiatement au vote du vœu proposé par le camarade de
Vichy en ajoutant celui du camarade de l’Isère et en précisant qu’on
manifestera en refusant de se présenter à toute fête militaire, non pas à Paris
seulement, mais dans toute la France.
ROBERT. — Je me rallie
aux deux propositions. Le préfet vient de prendre un arrêté interdisant toute
manifestation pour laquelle on n’a pas l’autorisation préfectorale. Le préfet
va nous serrer les flancs. Nous sommes les promoteurs, nous ne l’organiserons
pas.
COLONGES.
— Je me rallie à cette proposition, mais j’ajoute que le Congrès pourrait bien
demander à toutes les sociétés qui ont l’intention de participer à ces fêtes
des décorations du 14 juillet de ne pas prendre part aux revues du 14 juillet
si les officiers responsables de l’affaire de Vingré ne sont pas révoqués.
BARTHELEMY.
— J’ajoute ceci : c’est que je fais partie de l’association générale des
Officiers de complément. Cette association a demandé la même chose.
ROBERT.
— Il nous arrive une idée excellente qui dit que nous devons déjà prendre
position pour cette campagne et que demain, avant d’aller au banquet, nous
allions par ordre en cortège régulier, sans rien dire du tout, déposer nos vœux
au préfet de Meurthe-et-Moselle.
LONGERON. — Nous parlons
manifestation. Quoique vous n’ayez pas été mis au courant, — je l’ai d’ailleurs
regretté à la réunion du Conseil d’administration, c’est-à-dire samedi soir, —
je dois vous dire que je me suis fait attraper de belle façon. Puisque l’occasion
vient d’en parler, eh bien, dans une réunion précédente, le 17 mars, nous
avions décidé, au moins en principe, qu’il y aurait peut-être une manifestation
par l’Union fédérale, manifestation où seraient conviées, non pas seulement
toutes les fédérations, mais toutes les sociétés de province, manifestation qui
s organiserait sur la place du Trocadéro et se rendrait au Parlement soumettre
aux commissions, aux députés, toutes les questions qui nous intéressent et qui
n’ont pas été résolues. Elles sont nombreuses, parce que, depuis l’année
dernière, beaucoup de lois ont été mises sur le chantier et aucune n’est encore
sortie aujourd’hui. La question de l’amnistie vient se lier aux autres
questions. Tout à l’heure, vous aurez à décider. Lorsque je l’ai demandé à CASSIN,
on m’a répondu ceci : que si les projets ABOUT, en ce qui concerne les
pensions, et les projets sur les emplois réservés ne venaient pas en discussion
avant le 20 mai, nous devions faire une manifestation. C’est pourquoi il paraît
que cela viendra en discussion après la rentrée de la Chambre. Vous aurez donc
à prendre une décision là-dessus. Je vous demanderai donc de réserver cette
question de manifestation au moins jusqu’à l’assemblée plénière, et c’est au
ministre qui doit venir demain, c’est à lui qu’il faut prouver notre vitalité,
parce qu’il est le délégué du Gouvernement. Il portera au Gouvernement vos
sentiments. Il dira : « Je suis allé dans un congrès de mutilés ;
je m’attendais à recevoir des fleurs, j’ai glissé sur une pelure d’orange. »
On a voté une loi où le Gouvernement est intervenu. Eh bien ! Cette loi d’amnistie
ne donne pas satisfaction aux mutilés parce que, comme toujours, on continue à
taper sur les petits. Et pour les gros, on passe dessus, on laisse marcher, et
de toutes les affaires que vous avez mises dans les journaux, il y a déjà
quelque temps, aujourd’hui vous n’entendez plus parler. Si vous voulez, à l’assemblée
plénière, décider votre manifestation, nous pourrions décider aussi que l’Union
fédérale s’engage par des votes, par des tracts, à prendre position, notamment là-dessus.
L’an dernier, nous avions déjà demandé que l’amnistie soit faite d’une façon
très large. Laissez de côté la question de droit commun. Eh bien ! Il n’y
a rien été fait. En effet, le général D..., je crois est encore en Algérie et
aucune sanction n’a été prise contre lui. Par conséquent, je vous engage à
attendre l’assemblée plénière et à décider ensuite s’il y a lieu de faire une
manifestation ; d’ailleurs, ROGÉ nous donner son avis là-dessus. Mais je
ne crois pas qu’il sera possible de faire dès aujourd’hui, comme le disait
ROBERT, une manifestation plutôt platonique pour aller porter un cahier de revendications au préfet, alors que
demain nous aurons le ministre.
BENASSY. — L’année dernière on a demandé qu’on ne
comprenne pas les déserteurs à l’étranger, les insoumis. Je vous demande qu’une
proposition soit faite, parce que les déserteurs à l’étranger et les insoumis ne peuvent pas être mis avec les déserteurs.
En Suisse et ailleurs nous avons, en effet, des déserteurs qui ne
demandent qu’à revenir en France « pour se fiche de notre
gueule » ; ils se sont reposés pendant que nous étions au front.
COLIN. — Ces déserteurs ne sont pas intéressants. Il y
a une différence énorme entre les déserteurs à l’étranger qui n’ont jamais fait
la guerre, qui ont fui au moment de la mobilisation, et les déserteurs du
front, ceux qui ont été condamnés tantôt pour désertion en présence de l’ennemi
ou à l’ennemi. Les éléments caractéristiques de ces deux crimes sont les mêmes
par une défectuosité du Code.
En effet, rappelons-nous un mot du maréchal NEY :
« Quel est le couillon qui peut se vanter de n’avoir jamais eu
peur ? » Un soldat qui a toujours été un vaillant combattant peut
fléchir à un moment donné ; il mérite des circonstances atténuantes ;
il mérite d’être pardonné par l’amnistie », s’il a fait son devoir
auparavant.
Je vais plus loin au
sujet des condamnés pour désertion à l’ennemi, car pour quelques-uns il n’a pas
toujours été établi que, s’ils se sont rendus, ce soit de leur faute.
Vous savez tous ce
que c’est qu’un petit poste ; deux hommes s’y trouvent ; ils peuvent
être facilement enlevés. S’ils ont été placés en l’air par la faute du
commandement, le commandement ne dira naturellement pas : « C’est de
ma faute. » Il affirmera, au contraire, qu’ils sont passés à l’ennemi et
ils seront condamnés.
Nous devons donc
demander l’extension de l’article 20 de la loi d’amnistie même en faveur des
déserteurs à l’ennemi.
DANIEL. — Messieurs,
vous demandez la révision parce qu’il faut avant tout la faire. Je voudrais
que, de même qu’on a fait pour la Commission FAYOLLE, je voudrais qu’à l’appui
du vœu du camarade, il puisse y avoir de nos camarades dans ces commissions.
HÉRAUD. — Je prie nos
camarades de ne pas faire de surenchère Nous sommes en train de nous plaindre
des juges qui ne sont pas compétents et nous allons demander à d’autres juges,
pas plus qualifiés, de réviser les jugements ? Il y a là une erreur de
tactique. Si les juges militaires ont mal jugé, c’est que, d’une part, ils n’y
connaissaient rien. C’étaient des gens de bonne foi, souvent, et souvent aussi
ils croyaient que les ordres supérieurs devaient influer sur leur conscience de
juges. D’autre part, vous ne vous rendez pas compte combien il est difficile d’étudier
un dossier. Ils ne sauraient pas faire cette révision. Ne demandez pas des
choses qui sont simplement des motions condamnées à un enterrement de première
classe.
FONTENAILLE. — Je
demande que les dossiers soient confiés à un ancien combattant et que les juges
soient des anciens combattants. (Suite de la lecture du rapport.)
1° La question
est adoptée.
2° La question
est adoptée.
3° La question
est adoptée.
4° La question
est adoptée.
VINÇON. — Votre ordre
du jour est très bien, mais je serais de l’avis de beaucoup, pour savoir si on
aura au moins, demain, une parole autorisée du ministre des Pensions, qui a
voté contre, s’il s’engage devant le Congrès à défendre le projet devant le
Conseil des ministres.
THOMAS. — L’exclusion
de toutes manifestations où nous sommes invités par des municipalités à
accompagner une cérémonie militaire.
LE PRÉSIDENT. — Je
mets aux voix l’ensemble de l’ordre du jour.
VINÇON. — Vous allez
donner un ordre du jour à un monsieur qui a voté contre il y a huit jours, et
alors, en cas de refus, que ferez-vous ?
VAILLANT. — Quelles
mesures prendrez-vous ?
VINÇON. — Ne pas
assister au banquet officiel.
CHAREY. —Je me rallie
au vœu du camarade VINÇON. Dans le cas où le ministre ne voudrait pas nous
soutenir, que nous placions le banquet sous la présidence d’honneur de toutes
les victimes des conseils de guerre.
PÉRET. — II ne faut
pas mettre en demeure le ministre, il n’y a qu’à lui remettre l’ordre du jour ;
il nous donnera l’engagement de le soutenir auprès du Parlement.
UN DÉLÉGUÉ de Montluçon.
— Je vous demande que nous envoyions l’ordre du jour au ministre des Pensions
avec la copie du discours du camarade qui a été commissaire rapporteur et qui a
assisté très longtemps aux jugements des conseils de guerre, et que la copie du
camarade soit envoyée appuyée par toutes les fédérations, de façon à ce qu’on
prenne position avec tous les députés anciens combattants pour arriver à un
résultat.
ROBERT. — Vous
invitez le ministre à présider votre banquet ; je crois qu’on obtient
davantage par la persuasion. Si, dans l’Isère, nous avons l’effectif que nous
avons aujourd’hui, si nous avons obtenu des résultats, c’est très souvent en
renversant les encriers sur les bureaux ; mais j’en tire la conclusion
que, par la persuasion, on arrive à beaucoup de choses. Eh bien ! Demain,
qu’on invite le ministre ou qu’on ne l’invite pas, un représentant de la République
ne peut pas vous dire : « Je peux défendre votre cause. » Vous
ne pouvez faire qu’une chose : lui remettre l’ordre du jour en espérant qu’il
le défendra, comme vous le feriez si vous le portiez au préfet, mais vous ne
pouvez pas lui demander son avis en plein banquet.
ROGÉ. — Je suis
obligé d’être poli, puisque je reçois le ministre. Je demande une chose très
simple, c’est que les camarades qui veulent nous faire faire des commissions
galeuses veuillent se charger de les faire eux-mêmes. Je sais quand il faut
taper ferme ; on a rappelé tout à l’heure certaine carafe et certain verre
d’eau ; je suis prêt à recommencer, mais je ne voudrais pas que vous nous
mettiez dans l’obligation d’être incorrects. Il ne faut pas nous obliger à
prendre une attitude belliqueuse, il faut vous mettre à notre place ;
lorsque nous avons des revendications, il est difficile de les présenter et
plus difficile encore de les faire triompher. Il faut nous laisser la possibilité
d’être durs quand il le faut et polis et corrects quand il faut l’être.
VAILLANT. — Nous
sommes saisis de plusieurs idées :1° Il faut remettre demain au
ministre l’ordre du jour que nous venons de voter.
LONGERON. — Je
comprends très bien ce que vient de nous alléguer ROGÉ, c’est très juste. Le
ministre est invité aujourd’hui. Si nous lui télégraphions notre ordre du jour,
il hésitera à venir, et ce serait très fâcheux. Il y a quelque chose : cet
ordre du jour est lié à tous les ordres du jour ; il n’y a pas que cette
question qui est intéressante, toutes les questions sont intéressantes, c’est
le cahier entier des revendications qu’il faut que nous remettions demain entre
les mains du ministre, puisque les revendications seront terminées, et lui
demander l’engagement de le défendre tout entier.
VAILLANT.
— 2° Remettre au ministre le cahier des revendications générales. ROGÉ
fait un discours ; dans ce discours il précise quelles sont les
revendications générales de l’Union fédérale, il peut toucher un mot de la
question de l’amnistie que nous venons de poser, de façon que le ministre soit
obligé de nous donner son opinion à ce sujet.
ROBERT.
— Si nous ouvrons le débat, vous allez présenter un banquet de désunion et nous
allons recommencer, à ce banquet, l’assemblée plénière.
HÉRAUD.
— Je vous demande de laisser à votre président le soin de savoir ce qu’il dira
ou ne dira pas dans son discours. La remise du cahier de revendications s’impose,
mais dans d’autres commissions il y a eu aussi des questions très importantes
que nos camarades considèrent comme plus importantes que la loi d’amnistie.
Faisons confiance à notre président, quel qu’il soit demain ;
remettons-nous en à lui, ce sera un homme intelligent qui présidera, et surtout
pas d’incidents, on n’invite pas les gens à venir déjeuner pour les mettre en
accusation.
VAILLANT.
— Je vous propose d’adopter la proposition de Marcel HÉRAUD.
Adoptée
à l’unanimité.